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Comment en parler ?

La question de l'épuisement des ressources et de ses conséquences envisageables sur nos modes de vie reste un tabou. Moi-même je n'en parle jamais clairement à mon entourage "non initié". Tout au plus puis-je me hasarder, dès qu'il est question d'avenir et de projets lointains, à mentionner de façon vague les incertitudes au regard de la surexploitation des ressources planétaires. Je sens alors très vite si l'interlocuteur est sensibilisé à cette approche, s'il a une relative conscience de ce qui s'annonce ou s'il ne s'en soucie nullement. Généralement la discussion ne va pas très loin et je n'insiste pas...


Un sujet dont il est difficile de parler ouvertement.


Dans au moins deux épisodes de NEXT (2, "Raconter" et 8, "Une lecture qui dérange"), les personnes interrogées font part de leur profond malaise à voir leur entourage décontenancé, gêné, ou même profondément perturbé par un discours inquiétant. La tristesse de « faire du mal » aux personnes que l'on aime et l'émotion qui en découle sont palpables. Si bien que plusieurs affirment ne plus vouloir en parler aux "non-initiés". Déjà pour ne pas passer pour un endoctriné obsédé par des idées apocalyptiques, mais surtout pour ne pas plonger dans l'angoisse ceux qui n'y sont pas prêts. Les auteurs de Tout peut s'effondrer l'affirmaient déjà dans leur livre : « Un fossé s'est parfois creusé entre nous et des proches qui conservaient - et défendaient ! - cet imaginaire de continuité et de progrès linéaire ». Et puis... il est vrai qu'à la longue, avoir en continu cette perspective en ligne de mire peut avoir un effet plombant. Moi-même je me vois alterner les périodes de forte implication et des moments de distanciation. Parce que la vie est là, quand même !


Mes quatre mois de silence (février à juin) correspondent à cette fluctuation. J'avais mis en sommeil ces préoccupations insolubles, ayant besoin de renouer avec une relative insouciance. Je me contentais de lire, de continuer à m'informer. D'en parler, aussi, car j'ai la chance d'avoir une amie proche avec qui nous pouvons échanger nos constats, partager nos lectures, exprimer nos points de vue et inquiétudes. Je considère que c'est une chance parce que d'autres n'ont personne à qui en parler et doivent garder pour eux ce qui les tourmente. Je ne suis même pas sûr qu'ils puissent en parler à un psy, qui pourrait en être effrayé !

À chacune de nos rencontres, donc, le sujet est abordé plus ou moins longuement. Comme si nous ne pouvions pas faire abstraction de cette réalité, bien présente dans nos esprits, avant de parler de tout autre chose. Et je crois que c'est sain : il est important de pouvoir équilibrer en nous-même les deux visions du monde fini qui nous clivent intérieurement. Continuer à vivre tout en sachant que, pour une grande part, ce n'est qu'un sursis... avant d'entrer dans une nouvelle dimension pleine d'inconnues. Pour autant il est une parole qui n'a pas encore pris place dans nos échanges : ce que chacun ressent, émotionnellement et viscéralement parlant, en se projetant vers un avenir qui pourrait être sombre. Je crois que nous ne faisons que l'effleurer, restant dans le pragmatisme, et je suis le premier à dériver vers l'humour pour alléger tout ça...



Faits et émotions, qu'en dire ?


Une belle conjonction d'actions s'est produite en ce début d'été, me sortant de la relative et protectrice distance d'un sujet qui m'effraie autant qu'il m'attire. D'abord j'ai enfin adhéré à Adrastia, afin d'établir des contacts avec des personnes assumant pleinement l'idée du déclin inexorable de notre civilisation. Je crois que j'en avais besoin. J'ai ainsi eu le plaisir de pouvoir échanger avec d'autres lucides, d'abord sur un forum dédié, et un peu plus tard lors d'une rencontre dans une grande ville proche. Pouvoir aborder directement et sans tabou le sujet de "l'Effondrement" (que l'un deux préférait appeler "effritement", que l'on pourrait aussi nommer "délitement") avait quelque chose de jouissif. Tous avaient la même conscience, quoique chacun ait son approche singulière. Élément remarquable : sur dix présents, sept étaient des ingénieurs ou scientifiques, plutôt jeunes (25 à 50 ans), et 90% étaient des hommes. Je ne sais pas si on peut en déduire quelque chose, sociologiquement parlant...

L'objet principal de notre échange a été... « comment en parler ? ». Voire, « faut-il en parler ? ».

Mais, là encore, la prise de parole était considérée sous l'angle factuel, informatif et pragmatique, et non pas celui du ressenti intime, à peine mentionné.


Coïncidence étonnante, dans la même période ma fille a envoyé un mail collectif (famille et amis) encourageant vivement à visionner les vidéos de deux auteurs qu'elle venait de découvrir : Gael Giraud et Pablo Servigne. Tiens donc ! Trop heureux de la voir entrer dans cette conscience je lui ai immédiatement fait part de mon intérêt, lui précisant qu'il était déjà ancien. Elle l'ignorait, ce qui prouve que j'ai su rester discret. Me voilà donc avec une nouvelle interlocutrice, à qui je peux transmettre - non sans prudence - des éléments d'informations en complément de ceux qu'elle découvre par elle-même. Nous avons déjà pu échanger abondamment sur ce thème. Quant aux autres destinataires de son mail, ils ne lui ont rien répondu...


Mais ce n'est pas tout : à peu près simultanément j'ai encore été confronté, au cours d'un forum local, à la question du « comment en parler ? ». Sous l'angle public, cette fois. Ce forum, consacré notamment au climat et à l'énergie, préparé par les élus et techniciens de la collectivité territoriale où je réside et suis élu, était ouvert à tous les citoyens. Trois intervenants extérieurs y ont fait un état des lieux assez complet pour chacune des disciplines : qualité de l’air, énergies renouvelables, climat local (Alpes). Par contre, pas un mot sur le fait que, peut-être, les perspectives lointaines (2050) de réduction à 50% de la consommation d’énergie du territoire et de décuplement d’installations d'énergies renouvelables pourraient être chamboulées par des aléas fâcheux. D’emblée je me suis donc senti en décalage, avec l’impression qu’on n'abordait pas les choses par le bon bout. J'ai été tenté de prendre le micro pour signaler mon étonnement mais me suis abstenu : je ne me suis pas senti avoir la carrure suffisante pour jeter mon inquiétant pavé dans la mare.


C'est donc sur la base de la transition douce qu’il a été demandé un travail de réflexion, en une dizaine de groupes de 6 à 8 personnes, autour d'axes stratégiques prédéfinis. En fait des paragraphes de synthèses très denses, fourre-tout regroupant diverses thématiques dont chacune aurait demandé un temps d'analyse conséquent. Là où il aurait fallu plusieurs heures, en structurant et articulant des réponses, il n’y avait qu’une trentaine de minutes. Et le processus d’intelligence collective ne s’improvise pas, surtout s’il n’est pas accompagné de près. Résultat : des idées émises dans tous les sens, du pointillisme sur des détails au lieu de voir les grands enjeux, du débat d’opinions dans le genre « climat ou pas, on veut bien changer tant qu'on ne perd rien de notre confort de vie ». Bref, je désespérais de voir émerger quelque chose de constructif de ce fatras informe, bien formaté selon le mythe du "Développement Durable". J’ai tenté d’aborder la question de l’épuisement du pétrole bon marché, du fait que tout notre mode de vie était basé sur l’énergie… mais rien n'y a fait : mes paroles ont été vite noyées sous l’hypothèse rassurante du futur moteur à hydrogène et de la fusion nucléaire. Il a même été question de prototypes de voitures volantes et de drones de transport individuel. Face à ce progressisme forcené, j’ai abandonné, vaincu…



En parler !


Je suis ressorti de ce forum un peu dépité et assez déçu. Désemparé. Pas vraiment surpris, mais j’espérais mieux. J’ai cogité sur ma frustration (et une pointe de colère) et dès le lendemain, porté par l'élan de mes convictions, j’ai pris mon clavier pour m’adresser directement au président de la communauté d’agglomération et au vice président en charge des questions environnementales. Marre de me taire ! Avec tout le tact nécessaire j’ai exprimé brièvement ma déception, souhaitant avant tout faire part de mon étonnement de voir s’engager un Plan Climat-air-énergie (c'est le nom du processus) qui ferait abstraction des perspectives de turbulences post-pétrole. J’ai exprimé mon souhait de voir intégrée, ou menée en parallèle, une réflexion sur la résilience du territoire en cas de grosses difficultés que d’aucuns considèrent comme quasi imminentes. Je n’ai pas voulu être alarmiste, me contentant de citer les noms de quelques scientifiques, ne sachant pas du tout quel est le niveau de conscience de ceux à qui je m’adressais. J’ai envoyé mon mail en flippant un peu, craignant de passer pour un hurluberlu délirant…


Il faut croire que ma lettre était suffisamment bien tournée puisqu’il m’a été proposé de la lire lors de la prochaine commission ad hoc. J’avoue que je ne m’y attendais pas. C’est une des meilleures façon de toucher les élus qui seraient déjà un peu sensibilisés sur le sujet. Moi qui me demandais comment établir des contacts, voici une réponse qui m’est offerte sur un plateau ! Mais la question du « comment en parler ? » est devenue aussitôt cruciale. En effet, il y a peu de chances que mon intervention suscite une adhésion immédiate et sans réserves. Je redoute, au contraire, d'avoir à faire face à de l'incrédulité et du déni plus ou moins aimablement formulés.


Je prévois donc de rester assez vague (pas de chiffres, pas de données précises) tout en insistant fortement sur le sérieux des arguments scientifiques disponibles. J'hésite encore sur l'emploi du terme Effrondement, dont je redoute le potentiel démobilisateur. Je me demande aussi si la dimension émotionnelle pourrait être favorable ou disqualifiante. Par ailleurs, ne voulant pas heurter de front mon auditoire, je ne ferai que proposer à qui veut en savoir davantage de se rapprocher de moi. En fait je voudrais semer des graines de conscience. Et si l'opportunité m'en est laissée, je me hasarderai sans doute à proposer la création d'un groupe de réflexion autour de la résilience de notre territoire intercommunal.


Car si la "transition écologique", à coup d'énergies renouvelables miraculeuses et de décroissance énergétique indolore peut encore faire rêver beaucoup de gens, pour ma part je n'adhère plus à ce que je vois désormais comme une grande mystification déconnectée des réalités physiques.


Conciliabule (cônes de sapin de Corée)

C'est que ce que j'ai trouvé de mieux dans ma photothèque pour illustrer le billet du jour...




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