top of page

Jusqu'à quand ?

En décembre 2006 j'assiste, à Grenoble, à un colloque intitulé "Effet de serre, effets de société". Un choc. Alors que j'étais venu en pensant approfondir ma connaissance de ce qu'on appelait encore "Réchauffement climatique", c'est une allocution de Jean-Marc Jancovici qui me sort de ma relative insouciance. Selon lui, bien avant que les effets du changement climatique ne se fassent réellement sentir, ce à quoi nous devions nous préparer était la fin imminente de l'ère des énergies à bon marché. Donc la fin de la croissance, du moins telle que nous l'avions connue.


La démonstration était implacable : nous étions proches du pic pétrolier, avec d'un côté une augmentation continue de la demande et de l'autre une raréfaction prochaine de l'offre. Changer d'énergies en allant vers les renouvelables ? Alors il fallait s'y mettre tout de suite parce que toute transformation, tout changement de modèle, nécessite une augmentation d'énergie pour créer de nouvelles machines. Je suis sorti sonné de ce colloque, réalisant subitement que l'avenir tel que je l'imaginais allait changer de trajectoire. Le futur devenait inquiétant.


Une dizaine d'années s'est écoulée, avec la montée en puissance des préoccupations écologiques et climatiques dans la société, dans les médias, et même dans les discours politiques. Le pic pétrolier semble avoir été dépassé. Et pourtant... bien peu de choses ont changé dans les faits. La consommation des ressources ne se réduit pas, la part des énergies renouvelables n'a que très peu augmenté, et le mythe de la croissance continue reste solidement ancré dans les consciences. Quant au beau consensus de la COP 21, il n'est guère suivi d'effets tangibles.


Il y a un an, nouveau choc : je découvre les travaux de Pablo Servigne et Raphael Stevens autour de l'effondrement. Cette fois les choses se précisent. La notion d'effondrement est désormais suffisamment prise aux sérieux pour que des chercheurs se penchent sur les effets de notre immobilisme. En fait la chose est étudiée depuis longtemps puisque dès 1974 le fameux Rapport Meadows mettait en évidence "Les limites de la croissance". J'en avais peu entendu parler et ne soupçonnais pas l'importance capitale de cette étude.


Ce que je comprends, en regardant la vidéo qui présentait l'ouvrage de Servigne et Stevens, c'est la réalité psychologique et profonde que déclenche la prise de conscience. Une sorte d'effroi viscéral en songeant que l'essentiel de ce qui fait notre mode de vie, et en particulier le confort matériel (santé, nourriture, chauffage, liberté de déplacements...) dont nous bénéficions, est fortement menacé à court ou moyen terme. Il n'est désormais plus question des fameuses « générations futures », un peu abstraites, mais de celles qui vivent actuellement. C'est à dire nous. Fort égoïstement je pense en particulier à mes proches. Mes enfants, ma famille, mes amis.


Depuis un an cette réalité incontournable hante mes pensées et sape mon avenir, dont elle limite l'horizon. La prise de conscience à atteint quelque chose de profond, réveillant des peurs qui me semblaient faire partie de l'histoire. L'épée de Damoclès est au dessus de nous, menaçant notre insouciance. Avec cette question devenue lancinante : jusqu'à quand ?


Jusqu'à quand allons nous pouvoir faire comme si tout allait continuer sans encombre ?


Le tableau s'annonce assez sombre. Cependant on voit aussi s'allumer un peu partout de petits éclats de lumière. Des initiatives, des actions, des engagements. Tout un fourmillement se développe et se propage à bas bruit. D'autres modèles de société tentent de voir le jour, essaient, inventent, s'adaptent. La transition est en marche.


D'un côté de sombres perspectives, de l'autre une réjouissante clarté. Contradictions et paradoxes. C'est ce clair-obscur que je me propose d'observer en toute subjectivité, tiraillé entre craintes et espérances, imprégné par une culture occidentale intenable dont il me faut m'émanciper.

bottom of page