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Entre deux mondes

En ouvrant ce site j’ai voulu témoigner d’un parcours de conscience. Aujourd’hui, force est de constater qu’il ne remplit guère sa fonction. Mon parcours est silencieux. Studieux. Je dois reconnaître qu’après des mois passés à glaner des informations éparses sur internet - que je pensais pouvoir partager - j’ai finalement découvert des horizons infinis s’étendant au delà de ma capacité à les appréhender. Tenter d’en tracer succinctement les contours m’est alors apparu comme une tâche impossible. Hors de ma portée. Diffuser mes pauvres réflexions, tenant davantage de la restitution de savoir récents que de l’élaboration personnelle, m’est apparu comme dérisoire.


Plus j’ai avancé dans la conscience du déclin à l’approche, moins je suis parvenu à écrire sur le sujet. Non que je n’aurais rien à en dire, mais plutôt que l’offre est devenue pléthorique ! Tant de prises de paroles éclairées, tant d’articles pertinents, de vidéos éloquentes, de conférences percutantes ! C’est incroyable comme cet été le sujet des limites de la croissance s’est imposé, s’invitant jusque dans les médias grand public. Jusqu’au premier ministre qui a clairement parlé d’effondrement, par trois fois, à quelques jours d’intervalle. Du jamais vu ! Ce qui n’a pas empêché, quelques semaines plus tard, la démission surprise de Nicolas Hulot… acte symbolique qui a eu le grand avantage d’exacerber l’attention médiatique, donnant finalement une audience inespérée au désastre global en cours. Plusieurs tribunes et appels à la conscience ont suivi, ainsi qu’une marche pour le climat, prévue antérieurement mais ravivée par le renoncement de l’ex-ministre.


Je ne me fais cependant pas d’illusions : la plupart des gens n’ont porté qu’une attention distraite à ces infos. De ce que j’ai pu constater dans mon cercle de connaissances, les conversations ne s’y sont guère intéressées. Il semble cependant que, au moins en France, quelques déclics ont eu lieu dans certaines consciences. Mais tout cela reste quand même extrêmement restreint, à l’échelle de la planète… Tellement restreint que c’en est insignifiant. Dérisoire. Infinitésimal.


Et pourtant le découragement n’a pas sa place ! Au contraire, l’heure est à la mobilisation générale… qu’aucun décisionnaire n’est prêt à enclencher. Malgré le dernier rapport du GIEC et ses avertissements alarmistes sur l’urgence de l’action. Nous savons toujours mieux mais nous n’agissons toujours pas. Bon. Que faire à mon niveau ?


Agir, évidemment. Mais comment faire alors que je vis dans « l’ancien monde » et que je ne suis pas prêt, ni matériellement, ni mentalement, à entrer de plain pied dans un nouveau paradigme existentiel ? Comment opérer cette transition de l’esprit qui doit précéder une transition écologique… synonyme de décroissance ? Comment faire coexister simultanément deux modèles, représentations sociétales antinomiques ? La démarche est complexe et seul je n’y parviens pas. J’ai besoin de « faire société » avec d’autres informés. De discuter, de partager, d’échanger, de co-élaborer. Où ? Je ne sais pas. Je ne connais pas de lieux, localement, où je pourrais rencontrer ces autres. Sauf… sur le territoire virtuel interconnecté. Paradoxalement c’est là que tout se joue (du moins dans un premier temps) : informations spécifiques à flux continu, débats d’idées constants, mise en relation de réseaux, appels à la mobilisation…


Longtemps j’ai obstinément refusé de m’inscrire sur le réseau social hégémonique qu’est Facebook. Pas question d’être pisté, pas question de lâcher des éléments personnels dans des ordinateurs aux algorithmes incontrôlables, pas question d'entrer dans ce système où les "amis" sont aussi pléthoriques qu'inconnus. Et surtout, pas question de « faire comme tout le monde ». Il y aurait 2 milliards d’utilisateurs de Facebook ? Et bien moi je n’en serais pas !


Sauf que… ma soif de mieux comprendre les conséquences de la catastrophe qui s’annonce, et comment la penser, en grandissant atteignait ses limites. J’avais du mal à trouver de nouvelles sources. J’ai tenté les voies parallèles : pendant quelques mois le réseau libre Framasphère m’a ouvert à de nouveaux horizons. Il me manquait cependant le dialogue, quasi inexistant au vu du faible nombre d’inscrits.


D’un autre côté, puisqu’en début d’été j’étais entré plus en avant dans les sphères s’intéressant à l’effondrement (Adrastia, notamment), j’entendis régulièrement parler d’un groupe Facebook, apparemment très actif et fourmillant d’informations et de discussions passionnées.


Un mois plus tard, en le jour de grâce du 8 juillet 2018, j’abdique : je m’inscris sur Facebook ! Pour une seule raison : découvrir le fameux groupe qui semble rassembler tout ce qui s’échange sur le sujet. Transition 2030, en tant que pionnier, est en effet un groupe très actif. Mais d’autres groupes similaires existent et j’en rejoins plusieurs.


Là je découvre autant de cavernes d’Ali Baba : des suites ininterrompue de liens vers des articles, des vidéos, des sites, des blogs… ayant trait, de près ou de loin, à la notion d’effondrement. C’est fascinant ! Durant trois mois j’y passe des heures, chaque jour, à la recherche de nouvelles infos ou essayant de saisir, au fil des discussions, les éléments, arguments et contre-arguments qui font écho. Je passe par une phase de boulimie : je bouffe de l’effondrement, je m’empiffre de collapsologie, je me gave de déclin annoncé. Climat, ressources, démographie, démocratie… tout est bon pour me sustenter. Et puis, incontestablement, il y a un effet de groupe : nous sommes tous là pour parler d’un même thème et c'est stimulant.


En même temps, dans la vraie vie, j’ai poursuivi mon un « coming-out ». J’ai soulevé ces questions (de façon édulcorée) devant mes collègues du conseil municipal à l’occasion d’une visite du président de l’intercommunalité. Cette fois encore, bien que j’aie été écouté, j’ai constaté que le niveau de conscience était très faible. Les réponses données étaient bloquées à l’échelle du *Développement Durable*, notion totalement dépassée aujourd’hui pour quiconque a saisi la hauteur des enjeux.

Le 13 octobre j’ai participé à la marche pour le climat. En double : le matin dans la petite ville dans laquelle je travaille, l’après-midi dans la grande ville la plus proche. Plus de 5.000 personnes (voire 10.000, selon les chiffres officiels). Nous étions 10 de la même famille, représentant trois générations. Je sais que la plupart des gens n’ont pas vraiment conscience de l’ampleur des changements à mettre en place, et que cela ira bien au delà des « petits gestes » indolores et autres « petits pas » confortables, mais peu importe : c’est le nombre de ceux qui veulent un changement qui compte.


La semaine dernière, enfin, au sein d’un groupe d’échange constitué de personnes attentives aux relations interpersonnelles, j’ai fait part de ma grande préoccupation, au delà des apparences, du devenir de l’humanité. J’ai voulu rester léger, n’effleurer que la surface des choses, ne dire aucun « mot-obus » (tel qu’effondrement)… il n’empêche que le groupe est resté pétrifié. Non que je n’aie annoncé quelque chose de sidérant (quoique…), mais parce que, d’une certaine façon, je mettais les pieds dans le plat. D’ailleurs, avant de prendre la parole, j’avais inscrit sur le petit post-it qui annonçait mon sujet « Peut-on tout dire dans notre groupe ? Faut-il ouvrir la boite de Pandore ? ». Formulation visiblement bien plus intrigante que je ne pensais, qui suscita une vive curiosité. Passés les quelques instants de (long) silence, les prises de paroles ont montré que ce que j’avais soulevé touchait juste. Le sujet était grave, profond. Une personne, visiblement en résonance, m’a remercié de l'aborder clairement. Et même si nous n’avons pas poursuivi (ce n’était pas l’objectif), même si j’ai senti des mécanismes de protection (solutions personnelles pour ne pas regarder les choses en face, minimisation consciente ou inconsciente des risques, espérances dans les capacités de l’humain à éviter le pire... ), je crois que j’ai déstabilisé quelques personnes. Ce n’était pas mon but… et en même temps je n’aurais pas été authentique si je n’avais pas fait part de ce qui teinte désormais toute ma perception de l’existence. Je ne peux plus faire abstraction de ce dont j’ai conscience. Je peux continuer à vivre entre deux mondes, faire illusion la plupart du temps, mais pas quand il est question de sincérité et de libre expression.



Valgaudemar, avant la neige

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