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Lignes de scission

Le propre de l'avenir est l'incertitude. Faire de la prospective, c'est se livrer à un exercice d'imagination qui ne peut qu'être spéculatif. Se fiant ce que l'on sait du passé et du présent, on prolonge les tendances selon des croyances personnelles plus ou moins étayées. En fait on ignore absolument tout de ce dont on parle. A défaut de savoir on ne peut que croire que les suppositions que l'on fait sont plausibles.


Croire : Penser que, sans certitude absolue; considérer comme probable.


Imaginer l'avenir


C'est donc sur la base de croyances incertaines que l'on va imaginer l'avenir, puis agir en conséquence. En ce qui concerne notre avenir commun, une croyance hégémonique a longtemps dominé dans les imaginaires : celle du progrès. Et avec lui l'amélioration illimitée des conditions de vie. Or le modèle a montré ses limites en atteignant celles des ressources terrestres, puis en dépassant leur capacité de renouvellement.


Un contre modèle est alors apparu dans les esprits avertis, il y a plusieurs dizaines d'années, tenant compte de cette réalité. Il s'est propagé, lentement mais sûrement, se développant si bien qu'actuellement deux grandes croyances coexistent concernant notre avenir proche et lointain : la continuité ou la rupture.

D'un côté une majorité (?) semble penser que, malgré le constat (plus ou moins accepté) de bouleversement environnementaux - dont la gravité est plus ou moins reconnue - l'homme saura trouver des solutions pour continuer sur un modèle de croissance et d'exploitation, de performance et de progrès, sans autres limites que sa capacité d'innovation. D'autres, reconnaissant sans réticence les dommages environnementaux, humains et sociaux, considèrent que la croissance continue n'est pas possible et qu'un changement de modèle - plus ou moins important - est inéluctable.

Cette ligne, taillée ici à la hache, pourrait distinguer grossièrement les tenants de la croissance et ceux de la stagnation, voire de la décroissance. Dans les faits, les différences comportementales sont peu perceptibles.


Mais une autre ligne de scission pourrait être considérée : celle qui sépare l'optimisme du pessimisme. L'optimisme serait du côté de ceux qui croient que les choses vont aller en s'améliorant, qu'ils soient tenants de la croissance ou de la décroissance (avec des modèles radicalement opposés, cela va de soi). Le pessimisme consisterait à croire que l'on va vers le pire, perspective que l'on trouverait un peu du côté de la continuité (fatalisme résigné) mais surtout du côté de la rupture (chaos apocalyptique), me semble t-il.



De quel avenir rêver ?


Partant du constat que l'homme a toujours su faire face à l'adversité, s'adapter, innover, l'optimisme peut se décliner sous deux versions opposées. Version croissance, le progrès technique et énergétique (que les opposants appellent "fuite en avant") serait notre salut ; version décroissance, ce serait le progrès social et environnemental (que les opposants appellent "retour à la bougie").

Le pessimisme, quand à lui, verrait volontiers dans les rapports humains une fatalité inégalitaire incitant à ne rien changer ou, au contraire, dans l'humain une espèce prédatrice à laisser s'auto-détruire. Tout ceci est bien sûr caricatural et des nuances d'appréciation existent, rendant les prises de position infiniment variables. Finalement j'ai l'impression que la plupart d'entre nous sont dans une grande perplexité : on ne sait pas du tout vers quelle vision de l'avenir s'orienter. Hésitant, tergiversant, changeant modestement de pratiques et reportant à plus tard les indispensables décisions réellement engageantes. Car bien que l'on perçoive nettement que la continuation ne sera pas possible, mettre en place une rupture à la hauteur de ce qui serait nécessaire n'a rien de simple, à cause des renoncements considérables que cela implique. Certains franchissent le pas, tournant le dos à certains aspects de la modernité. D'autres, dont je fais partie, en restent à une posture de "conscient procrastinateur".


Ethiquement et moralement c'est inconfortable. Je ne me sens pas congruent. Le cul entre deux chaises, je profite encore allègrement des bienfaits qu'offre notre modernité énergivore tout en sachant que ces habitudes ne sont pas soutenables à long terme.


À la différence de ce que j'ai développé plus haut il ne s'agit pas de croyance : je sais. En matière de lois physique il y a quelques certitudes auxquelles il est impossible de se soustraire. C'est sur le socle de ces lois que s'est élaborée, puis confortée ma vision de l'avenir : il est certain que notre modèle de civilisation ne peut pas continuer indéfiniment sur sa trajectoire actuelle. À la fois pour des questions d'épuisement de ressources que de rejet de CO2. Certes je n'ai pas vérifié par moi-même les données mais je n'ai pas de raisons de douter des voix concordantes qui les utilisent, lorsque celles-ci proviennent de sources compétentes et indépendantes.

Partant de ce que je tiens pour vrai s'est construit ce que je crois. C'est à dire ce que j'imagine et projette comme vision de l'avenir. Ce en direction de quoi je vais agir : me préparer à changer de mode de vie [on notera que j'en parle au futur... ]. Quelque chose d'assez imprécis encore mais qui rassemblerait les concepts de résilience, décroissance, transition. Bref : des façons d'être apte à encaisser le choc.


L'avenir, c'est quand ?


Là encore, une troisième grande ligne de fracture pourrait être tracée sur l'échelle du temps. Entre ceux qui considèrent que l'urgence ne l'est pas encore vraiment, se donnant un délai d'action plus ou moins généreux, et ceux qui pressentent que le choc pourrait être imminent. Et brutal.


Mais comment ne pas passer pour un alarmiste en agissant quand personne [dans mon entourage] ne bouge ? D'un autre côté mon engagement concret pourrait aussi être un signal...


J'évoque peu ces préoccupations dans mon entourage, craignant de passer pour un illuminé. Un excessif, un pessimiste. Ce qui en soi ne me dérange pas vraiment mais qui aurait pour inconvénient de me coller l'étiquette "pas crédible" sur le front. De la même façon je ne vais pas beaucoup plus loin quand, en confiance avec des personnes sensibilisées, je sens que mes propos heurtent leur optimisme. Il serait idiot de s'opposer sur des croyances divergentes.


Pourtant je constate que, presque malgré moi, je ne peux m'empêcher de faire part de ma façon de penser. Comme récemment lorsque, par exemple, j'ai pris la parole en conseil municipal pour exprimer mon désaccord face à un projet de nouvel équipement sportif communal. Comment pouvait-on envisager d'ajouter encore, sans s'interroger, une construction dans un contexte de raréfaction des ressources et de décroissance ? Ma prise de position n'a fait qu'induire une série de justifications sur la nécessité de cet équipement, sans susciter le questionnement que j'escomptais...


Peu importe : je contribue à essaimer ces idées encore trop peu entrées dans les consciences.



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