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Faire durer l'illusion

Lire, avidement, tout ce qui concerne un sujet sidérant. Chercher, glaner, dénicher... Comme un chien truffier je hume la trace des collapsologues et autres déclinistes : ceux qui prennent en considération l'effondrement de notre civilisation et le tiennent pour certain.


La perspective d'un effondrement est tellement ahurissante, effarante, ébouriffante et fascinante que j'ai besoin de vérifier constamment si de nouvelles données ne pourraient pas assurer avec un peu plus de certitude ce que je ne parviens pas à croire réalisable. Je sais... mais ne crois pas ce que je sais. C'est comme si ça dépassait mon entendement et ma capacité d'assimilation. C'est trop immense et porteur de conséquences bien trop inassimilables pour que mon esprit cède sans résistance.


Face à l'inimaginable le doute cherche à se faufiler dans la moindre faille. Inlassablement. Il ne va cependant jamais bien loin : même le discours lénifiant qui minimise la gravité de la situation en affirmant que « nous trouverons bien une solution » ne parvient pas à ouvrir une brèche. Le doute, aussitôt immiscé, s'étiole, se dessèche faute d'arguments. Il faut avouer que les élucubrations vagues des tenants de la croissance éternelle sont nettement moins persuasives que les données chiffrées, analysées, méthodiquement compilées par ceux qui sortent leur calculette et savent faire usage pertinent des ordres de grandeur physiques (Jancovici, Bihouix). Jusque là ces calculs et les conclusions qui en sont tirées ne semblent pas être niés, ni sujets à controverse. Mais en est-il tenu compte ?


La science ne peut, certes, avancer avec la certitude de preuves concernant le futur. Mais je préfère la part de doute raisonnable qu'elle ménage en toute rigueur plutôt que les certitudes inamovibles de ceux qui assurent que tout va bien se passer... sans autres éléments de preuve que leur foi en l'homme et leur croyance en son génie inventif.


Il y a quelques jours je suis tombé sur une vidéo déjà ancienne :


 

« Je pense qu'il va falloir accepter de payer l'énergie plus cher. Tant pis, il n'y aura pas assez de pétrole, on va trouver autre chose. Mais avant qu'il y ait le pétrole, les gens arrivaient à vivre quand même. (...) Oui le pétrole va devenir... pas suffisant pour satisfaire tout le monde, il va falloir trouver d'autres solutions mais elles existent. Et surtout je crois beaucoup dans la capacité de l'être humain à trouver des solutions. Mais il faut le faire maintenant. On n'a plus le temps d'attendre. C'est aujourd'hui qu'il faut se préoccuper de ce qu'il va manquer demain matin. Et demain matin, c'est pas dans trente ans »


Christophe de Margerie, PDG de Total, dans "La fin du pétrole", de Yann Arthus-Bertrand (2009)

 

Ce court passage me semble particulièrement éloquent, petit chef d'oeuvre de contradictions condensées en quelques phrases. Le « on va trouver autre chose » est un bel exemple de pensée magique. Et le fait que de tels propos émanent d'une personne particulièrement bien placée pour savoir ce qu'il en était à l'époque, est assez cocasse. Surtout quand, neuf ans plus tard, on voit combien le « il faut se se préoccuper de ce qu'il va manquer demain matin » a été suivi d'effets...


En termes d'éléments de langage on pourrait aussi comparer à quoi s'appliquent les nuancés et quelque peu incertains « je pense » et « je crois », par opposition aux clairs et affirmatifs « il faut » et « on n'a plus le temps ». Sans oublier le savoureux « sans pétrole, les gens arrivaient à vivre quand même ».


Le plus étonnant c'est que ces circonlocutions oratoires, aussi ambivalentes soient-elles, atteignent probablement leur objectif : faire durer le status quo. Car beaucoup auront certainement retenu la partie rassurante des propos plutôt que celle qui les confronte à une réalité qu'ils n'ignorent cependant pas. Croire encore qu'on puisse continuer, c'est toujours ça de gagné.


Faire durer l'illusion du durable.


Lumière du soir







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