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97% de stupidité

Depuis un choc salutaire je me suis coupé de l'info "en temps réel" : trop violente, anxiogène et racoleuse. Ni radio, ni télé, ni journaux. Je m'en tiens au flux qui persiste au delà de l'effet immédiat et peut faire l'objet d'analyses un peu plus approfondies.


Je n'échappe cependant pas totalement à l'info-tape-à-l'oeil puisque les pages d'accueil de mes boites mail affichent toujours plus d'info-choc, d'images, de pub. C'est ainsi que me sautent à la figure les titres accrocheurs de ce qui fait l'actu, généralement la plus spectaculaire, la plus "people", la plus simpliste, la plus voyeuriste, la plus éphémère qui soit. C'est assez pitoyable et je m'abstiens de cliquer.


Je reste quand même abonné à quelques newsletters, histoire de rester vaguement informé de l'actualité environnementale. Dernière actu qui me saute à la figure : Record de vitesse de fonte de la calotte glaciaire !

Saperlipopette ! Que se passe t-il du côté du réchauffement planétaire ? Fortement intrigué par une telle annonce, je fronce le sourcil et clique sur le lien.


« Environ 97 % de la calotte glaciaire du Groenland a dégelé en surface à la mi-juillet 2012. Le 8 juillet, la calotte glaciaire avait déjà fondu de 40 %. Quatre jours plus tard, la fonte atteignait les 97 %. Alors qu'habituellement seul [sic] la moitié de la surface glaciaire du Groenland fond au cours de l'été, les chercheurs doivent déterminer si cette fonte brutale entraînera une hausse du niveau des océans. »


Houla, c'est du lourd, ça ! [me dis-je après une lecture rapide]. C'est même tellement gros que ça ressemble à un canular. On se croirait dans "Le jour d'après", film d'une subtilité pachydermique qui montre un changement climatique majeur opérant en... quelques heures.

Y'a quelque chose qui cloche là dedans...


Fortement sceptique je vais donc à la chasse aux infos... et retrouve le même titre alarmiste un peu partout. « Le Groenland fond à une vitesse record », clame l'Express. Allons bon ! La calotte glaciaire c'était déjà douteux, mais que le Groenland fonde, ça devient n'importe quoi. On n'est manifestement pas à un raccourci près...

Le Monde, censé être un journal sérieux, ne vaut guère mieux avec son titre : « La calotte glaciaire du Groenland à dégelé à 97% en juillet ». En tête d'article, les deux cartes suivantes :


Tout ce blanc disparu ! Ça fait flipper, non ? Il ne resterait donc plus que 3% de la calotte glaciaire ! Tout le reste serait dégelé. Fondu, liquide quoi... et la mer va monter. Saprisiti, et on ne m'en avait rien dit ?

C'est louche...

Les cartes montrent une évolution, visiblement catastrophique : en quelques jours l'essentiel du blanc [de glace ?] est devenu rose ou rouge [de chaleur ? de coquelicots ? de lave incandescente ? (ce qui expliquerait la "fonte du Groenland" découverte par l'Express, peut-être ?)]. Les quelques miettes blanches qui persistent ont assurément disparu à l'heure où je rédige cette note... Brrr, j'en ai des frissons ! Il n'y a aucune légende concernant les diverses tonalités de rouge visibles sur la carte, mais son titre suffit : "Les cartes satellitaires montrent que la calotte glaciaire avait fondu à 40 % au 8 juillet et 97 % quatre jours plus tard, le 12 juillet" [effectivement, 8 + 4 est bien égal à 12, j'ai vérifié cette précision capitale]. Tonnerre de Brest, toute cette glace aurait-elle fondu en seulement 4 jours ??? Ah c'est sûr, les océans vont monter...


Pourtant, après la première partie de l'article (qui ne fait que reprendre la même dépêche AFP que les autres), on peut lire que, selon les prévisions actuelles, la calotte glaciaire du Groenland « pourrait avoir disparu en deux mille ans en cas de réchauffement de + 8 °C, mais en cinquante mille ans en cas de hausse contenue à + 2 °C ».

Euh... attendez, elle a fondu ou pas cette calotte ? Moi qui m'attendais à voir les vagues lécher le bout de mon jardin demain matin, je comprends plus rien, là... Vais-je devoir attendre 50.000 ans pour voir monter le niveau des océans !


Il faut lire un peu plus attentivement que je ne l'ai fait les textes pour constater qu'un mot, essentiel à la compréhension, apparaît ou disparaît nonchalamment au fil des phrases. Ce mot c'est "surface". Ce qui fond n'est que la surface de la calotte glaciaire (et non pas la surface glaciaire, comme il est écrit de façon ambigüe dans plusieurs articles...). Un peu comme la surface d'un glaçon fond dès que la température ambiante est supérieure à 0°, cette fonte superficielle opérerait donc depuis quelques jours dans des proportions importantes, certes, mais probablement conjoncturelles : une masse d'air chaud stagne depuis quelques temps au dessus du Groenland. L'élévation de la température qui en découle, qui ferait effectivement fondre la surface de la glace de façon inhabituelle, aurait cependant été déjà observée il y a plus d'un siècle, en 1889. Cet évènement, qualifié comme « sans précédent »... ne l'est que pour les satellites : ils ne l'avaient pas encore capté depuis trente ans qu'ils sont en service.


Tout cela est décrit dans l'article qui a déclenché ce bazar : "Unprecedented ice sheet surface melt", issu de la très sérieuse NASA. On y trouve la fameuse carte, dont la légende est bizarrement absente sur les sites d'info français. Il suffit pourtant de faire une copie d'image pour l'avoir en entier...


Légende : le rouge correspond aux zones englacées dont la surface est actuellement en état de fonte. Le rose indique un degré de moindre certitude


On voit bien que ce petit mot qui change tout, "surface", absent des titres médiatiques par effet de sensationnalisme, par bêtise ou par ignorance, induit une lecture orientée. Cette omission trompeuse suggère insidieusement qu'il est question de volume plutôt que de surfaces. Et une lecture rapide, comme celle que j'ai faite, ne permet pas de déceler immédiatement où se situe la supercherie.


A force de raccourcis et d'omissions, de simplification et de sensationnalisme, les rédacteurs en arrivent à écrire n'importe quoi. Ça peut faire sourire... mais ce n'est pas très drôle. Non seulement les médias, censés nous informer, se décrédibilisent, mais ils contribuent aussi à la confusion généralisée de l'information. Quand il n'est question que de nos vies quotidiennes c'est sans grande importance. Quand il s'agit d'un sujet aussi crucial que notre rapport à l'environnement à long terme c'est plus grave. A force de balancer tout et n'importe quoi à longueur de temps, sans réflexion, sans recul, sans hiérarchisation, quel crédit accorder à cette masse indistinctes d'informations ? Le scepticisme à l'égard du réchauffement climatique est déjà suffisamment répandu pour ne pas l'alimenter avec des balivernes de ce genre. Combien vont finir par ne plus rien écouter/lire de ce qui demande un peu d'attention et un minimum de jugeotte ?



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