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Tout est impermanence

  • Pierre E.
  • 10 janv. 2017
  • 5 min de lecture

Suite de ma prise de conscience sur le devenir [possible] de notre société.


Entièrement libre durant un glacial week-end, j'ai passé des heures à m'informer sur le sujet qui m'inquiète : lecture d'articles, visionnage de conférences vidéo... Une immersion monomaniaque, avec le risque d'en perdre sens critique et facultés de discernement. Pour tenter de m'en abstraire j'ai essayé de lire autre chose, d'écouter la radio. Peine perdue : ces "hors-sujet" ne m'ont guère intéressé. J'ai alors observé et tenté d'analyser ce qui se passait en moi, qui ne suis guère coutumier de réactions passionnelles et encore moins de fantaisies irrationnelles.


Comment décrire ce que je vis depuis quelques jours ? D'abord il y a eu un choc. Je savais ce qui se joue, intellectuellement parlant, mais je n'avais pas pris la réalité "en pleine gueule". Je veux dire que corporellement, émotionnellement, je n'avais pas ressenti "dans les tripes" cette sorte d'oppression qui m'a saisi ces derniers jours. Soudain j'ai eu peur. J'ai vraiment eu peur, avec une sensation d'urgence : la menace était imminente et nous n'y pensions pas. Flippant ! Que je le ressente ainsi ne signifie évidemment pas que ce soit vrai mais que les éléments dont j'ai disposé m'ont paru suffisamment crédibles pour que je les crois vrais.

Un mot a servi de déclic : "Effondrement". Et surtout le délai qui y était associé: bientôt. Plus tôt que je l'imaginais, donc. Peut-être sous une ou deux décennies. J'ai alors senti viscéralement l'immense vulnérabilité notre civilisation techno-industrielle [depuis j'ai constaté, non sans surprise, avoir déjà employé le mot effondrement, sans réagir, il y a deux ans dans "Le risque d'effondrement"]. De lien en lien, de page en page, j'ai pisté l'effrayant terme. Très vite me sont revenues en mémoire des scènes traumatisantes : "Malvil", roman post apocalyptique de Robert Merle, lu lorsque j'étais adolescent. Puis "Mad Max", film d'anticipation ayant lui aussi fortement marqué mon imaginaire. Dans les deux cas il est question de survie de communautés sociales "pacifiques" assaillies par des hordes hostiles tentant de voler les moyens de subsistance des premiers. Un monde sans autre loi que celle du plus fort. Mon imaginaire s'est donc mis à galoper, anticipant sur le pire de ce que l'humanité peut redouter d'elle-même. Très vite je me suis mis à penser à tout ce qui deviendrait vital en cas de pénurie généralisée : nourriture, allumettes, hache, bougies... Une liste insensée s'allongeait dans ma tête, en prévision du jour où il n'y aurait plus carburant ni éléctricité, donc plus d'approvisionnement alimentaire. Stop ! Si ces conditions devaient arriver, autant se flinguer dans les jours qui en suivent l'annonce [zut, j'ai même pas de flingue...].


Alors je me suis posé. J'ai cherché d'autres pistes de réflexion... et j'en ai trouvé. Parce que ça fait déjà pas mal de temps que des gens sensés réfléchissent à l'effondrement, en évitant de préférence les pires scénarios. Tandis que je jouais les insouciants depuis des années, d'autres imaginent le futur post-gaspillage qu'ils souhaitent. Ils se basent sur ce qui a fondé notre société pendant des siècles : l'entraide, la solidarité, le collectif. Ils se projettent vers des communautés à petite échelle, placées sous le signe de la bienveillance, de l'amour, du respect des hommes et de la nature. Ouais, des trucs un peu new-age, marginaux, vaguement utopistes. Ce que moi-même je regarde généralement avec un brin d'amusement, peu tenté par le mode de vie assez spartiate [et communautaire] que cela signifie. C'est que je l'aime bien mon petit confort de solitaire : une maison à moi tout seul, ma bagnole, ma liberté... Avec une contrepartie : la dépendance du "système" que je critique. Flagrant délit d'incohérence. De non-congruence : ne pas mettre en pratique les idées que l'on défend. Shame on me !

Certes, j'achète à 95% bio et quasiment jamais de viande [sauf quand elle va être périmée, donc jetée]. Je trie scrupuleusement mes déchets depuis au moins 20 ans [dérisoire], je ne change pas un appareil tant qu'il fonctionne (réfrigérateur agé de 20 ans, congélateur de 30 ans, même four depuis 35 ans, voiture de 22 ans et plus de 300.000 km), quitte à ce qu'ils soient bien moins performants que de plus récents... qu'il aura fallu fabriquer [pollution, énergie, ressources]. Je limite mes déplacements [bis repetita], les optimise, modère [un peu] ma vitesse. Je me chauffe au bois [zut, ça émet des particules fines !]. Je me pose systématiquement des questions sur ce qui sera le plus économe en ressources et en énergie. Un vrai casse-tête, souvent sans solution faute de connaissance suffisamment précise du bilan global. Bref je fais [presque] tout bien... mais sans trop faire d'efforts. Rien qui me "coûte" vraiment, en termes de temps, de complexité, de connaissances. Comme on dit : je me donne bonne conscience. Beurk !


Pourtant je le sais qu'on va dans le mur ! Je le sais que je devrais réduire bien plus fortement mon empreinte écologique ! La diviser par quatre, au mimimum. Mais jusque là je ne suis pas parvenu à faire le grand saut qui me ferait passer du côté des décroissants.


Il y a dix ans, en écrivant "Ancien monde", je relatais ma prise de conscience suite à un premier choc reçu au cours d'un colloque : notre monde est fini. Sur le moment ça m'a sérieusement secoué, mais qu'ai-je fait depuis les 3686 jours qui se sont écoulés ? Rien. Ou si peu. Par contre j'ai senti croître ma crainte diffuse, attendant que le sursaut collectif se manifeste enfin et m'en délivre. J'ai espéré que l'écologie politique se montre à la hauteur, que le vote des citoyens s'oriente massivement dans cette direction, qu'autour de moi j'entende de plus en plus parler du changement à mettre en oeuvre, que l'ensemble de la société prenne le problème à bras le corps... Et rien ! Ou si peu. Au contraire, j'ai assisté, un peu éberlué, à la montée des idées populistes, à la perpétuation du modèle productiviste, à l'attente du retour de la croissance, à l'expansion de la vacuité des idées. Et je ne parle même pas du système médiatique de masse, orientant l'intérêt des foules vers le spectaculaire, le sidérant, le clinquant, le superficiel, le stupide. À gerber !

Depuis des années je me suis laissé porter, m'accrochant à ce qui, dans cet flot d'insignifiance, captait mon intérêt, augmentait mes connaissances, stimulait mon intelligence, suscitait mon émotion. Je me suis surtout réfugié dans un relatif isolement, propice à la contemplation, la réflexion, à une certaine forme de méditation. Installé dans un petit monde confortable, à l'écart, j'ai trouvé mon équilibre.


Va t-il falloir que j'y renonce ?


Elle est là la grande question. Celle qui s'est insinuée dans mes pensées et les taraude maintenant : à quoi dois-je me préparer à renoncer ? Vertigineuse question, qui va bien au delà de mon seul confort personnel. D'autres dimensions s'invitent, plus profondes. Les relations, les liens, les proches. Les idéaux, les rêves, les espérances sur l'humanité et le progrès social et technique. Quant toute sa vie on s'est projeté, sans vraiment en avoir conscience, sur une certaine pérennité du modèle sociétal, de la succession des générations, envisager une rupture brutale ne va pas de soi. Il y a perte, avec des sentiments de colère, de tristesse. C'est assimilable à un deuil. Certains se sont déjà penchés sur la question.

Fort heureusement j'ai rapidement pu retrouver à quoi m'accrocher pour ne pas m'enfoncer dans les perspectives sombres de la perte : l'effondrement promis peut être une chance de renouveau. Un (des) nouveau(x) modèle(s) sont à inventer. Mais je ne crois pas pouvoir investir ces champs du possible sans passer par une phase d'acceptation. Il y a bel et bien perte. Comme un rappel, à la fois cruel et libérateur : tout est impermanence...


Partant d'un constat, aller vers des perspectives nouvelles


(à suivre)


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