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Lumière d'hiver


Au petit matin une légère brume exhale de l'herbe givrée. Le soleil encore rasant magnifie le paysage hivernal. Ciel tout bleu. Je prends ma voiture pour me rendre à la ville, où j'ai rendez-vous...

Musique très calme [Leonard Cohen, voix d'outre-tombe...], je roule tranquillement entre les collines qui me mènent vers ma destination. Les montagnes étincellent au dessus du voile épais et orangé qui recouvre la vallée urbanisée. La couleur, un peu bizarre, n'est hélas pas inhabituelle. Sur l'autoroute des panneaux d'avertissement rappellent qu'un pic de pollution dure depuis plusieurs jours : vitesse limitée. Les trois voies de trafic, malgré la fluidité de la circulation, s'écoulent comme dans un film au ralenti. La plupart des conducteurs respectent l'injonction de lenteur. Je réalise qu'en quelques années cette situation est devenue banale. Dangereuse mais banale...


Bravant ce danger atmosphérique je me rends au point de rendez-vous, sur la place la plus connue de la ville. Il y a foule et tous les magasins sont ouverts. J'avais oublié ça. C'est dimanche mais les fêtes de fin d'année sont proches : la frénésie consommatrice bat son plein. Je ne me sens pas concerné. Je suis là sans y être. J'observe. Je me place au soleil et le laisse me chauffer par sa radiation. En cette saison il ne s'élève guère dans le ciel et n'insinue que parcimonieusement ses rayons entre les immeubles. Belle lumière photogénique. En attendant mon rendez-vous je regarde la foule. Tant de gens qui se croisent, bavardant dans un brouhaha aérien. Je ne suis pas habitué. Les femmes sont belles. Celles des villes sont bien plus élégantes et séduisantes que celles des champs. Je m'en rends compte à chaque fois, avec un pincement de regret. En ayant choisi le calme de la nature je me suis privé du plaisir de la féminité spectaculaire. Je pense que si j'habitais en ville je serais moins solitaire... ou alors je ressentirais davantage la solitude !


Celui que j'attendais arrive. C'est mon fiston, résidant à Beyrouth et rentré du Liban pour les fêtes de noël. Retrouvailles très simples, en souriant, comme si on s'était vus la semaine précédente. En fait je ne l'ai pas revu depuis le mois d'août. C'est étonnant comme avec les années les temps de séparation perdent le poids du manque et s'allègent de celui de la distance.

Nous allons vers les rues piétonnes, passant devant le marché de noël, tradition récente dans la région mais excellente occasion de faire marcher le commerce. Mon fils me dirige vers la belle Place Notre-Dame, où il connaît un restaurant qu'il affectionne. La place est éclaboussée de soleil, ce qui est fort agréable par les températures plutôt fraîches qui règnent dans les rues remplies d'ombre. Fugitivement je vois la grande fontaine qui orne cet espace et il me revient l'image d'instants passés à son pied en douce compagnie. Si loin, si proche...


Dans le restaurant notre discussion ne tarit pas. Nous nous racontons les dernières nouvelles de nos vies respectives. Rien de bien important, tout ce qu'on peut se dire hors de l'essentiel que l'on connaît déjà. Nous parlons du Liban, de la France, et puis de la France vue depuis le Liban. Mon fils suit un peu l'actualité, mais se sent bien loin de beaucoup de problématiques franco-centrées. Comme je le comprends...

Notre discussion s'oriente vers les sujets vraiment importants : notre comportement d'occidentaux aisés face aux enjeux planétaires. Il me parle de ses idéaux en berne, parce que totalement inaudibles dans un pays comme le Liban. Nos préoccupations écologiques, déjà tellement difficiles à mettre en oeuvre dans un pays aussi riche que la France, n'effleurent même pas la conscience de ceux qui aspirent au développement pour sortir de la pauvreté (et le Liban n'est pas pauvre !). Nous discutons longuement de la politique au sens noble du terme, de la démocratie, de nos engagements citoyens, comparant les mentalités des deux pays...

Nous concluons notre échange, pas forcément porté à l'optimisme, sur le ton un peu insouciant des Libanais. Face à l'adversité qui les a si souvent touchés, leur vision de l'avenir est comparable à ma maxime favorite : "On verra bien !"


J'ai bien aimé cet échange de points de vue, souvent convergeants mais éclairés par le statut d'expatrié temporaire de mon fiston. Une bonne discussion, comme il me plaît d'en avoir. Nous avons poursuivi notre rencontre en marchant dans la ville festive, jusqu'à un grand parc. Beaucoup de gens, là encore, profitant de la relative douceur de l'air et du soleil, devant le spectacle toujours grandiose des montagnes environnantes.


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