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Un grand bond vers l'avant

Le rapport que l'humanité entretient avec son espace vital, sujet autour duquel j'écris frénétiquement depuis quelques jours, a commencé à me préoccuper il y a quelques décennies. Habituellement j'en parle peu, parce que je n'ai pas l'impression que ça intéresse vraiment. C'est probablement trop abstrait, trop hypothétique, trop lointain, trop sérieux, trop déprimant. La rareté des commentaire que cela suscite semble le confirmer et je le comprends parfaitement. Il est vrai que tout ça manque un peu de légereté...


Mais je crois que mon évitement vient aussi du fait je ne me sens pas très à l'aise : j'ai beau savoir... je ne fais pas suffisamment d'effort pour mettre mes actes en conformité avec mes idées. Certes, je suis attentif à l'impact de mes choix et c'est pourquoi j'habite une maison construite en bois, matériau garanti durable, et que tout l'hiver je me chauffe - en partie - avec le bois que je coupe. Consommateur rétif, je n'achète quasiment rien, hormis la nourriture. Je mange majoritairement bio, de saison, préférentiellement local, tout en ayant fortement réduit ma consommation de viande. Je trie le peu de déchets résiduels que je produis, desquels j'ai préalablement soustrait tout ce que je peux composter ou incinérer.

Mais... je fais 50 km par jour en voiture - sans covoiturer - pour me rendre à mon travail et en revenir. Je me chauffe - en partie - à l'électricité (d'origine nucléaire à 75%). J'utilise beaucoup internet, dont je sais l'impact énergétique. J'achète de temps en temps quelques joujous technologiques, eux aussi gourmands en énergie de fabrication. Et pour finir il m'arrive, ô abomination, de prendre l'avion et de parcourir de longues distances en voiture pour assouvir mes envies d'espaces sauvages ! Mauvaise conscience...

Je pourrais donc faire beaucoup mieux ! Sauf que cela me demanderait un effort supplémentaire que je n'ai pas envie de faire alors que tant d'autres continuent à gaspiller sans scrupules. Je ne suis pas suffisamment vertueux, je le sais, alors que je pourrais prendre pour modèle ceux qui font plus que moi en termes de sobriété. Bref, je me sais être en posture paradoxale et voilà pourquoi, habituellement, je ne ramène pas trop ma fraise...


Mais quand l'actualité aiguillonne mes préoccupations environnementales et sociétales, j'entre en cogitation et deviens monomaniaque ! Tout d'un coup me revient à la figure cette réalité crue que j'ai tendance à "oublier" : nous consommons trop et j'y ai ma part ; même avec le mode de vie plutôt sobre qu'est le mien, si j'excepte les voyages. Redevenant soudainement lucide je lis beaucoup, écoute la radio, regarde des documentaires. Je m'informe tout azimut et j'ai envie de partager un peu la pléthore d'éléments de réflexion que je trouve. J'ai envie d'alerter, j'ai envie qu'on s'y mette tous ensemble pour que ça bouge... tout en sachant que mes mots n'ont qu'un pouvoir dérisoire.

Si je ne parlais pas de tout ça j'aurais l'impression d'être défaitiste. En le faisant je redoute de paraître pessimiste. Comment faire ? Le minimum que je puisse faire c'est de dire ce que je sais et qui m'inquiète, laissant chacun s'en saisir ou pas. Ainsi j'agis à mon tout petit niveau.



Agir en mots ?


Je le fais en ajoutant ma prose à l'agitation médiatique générée par la COP 21, aussi insatisfaisante soit-elle. Quoi qu'il puisse sortir de ce rassemblement exceptionnel de 195 pays autour d'une même table de négociations, il aura au moins eu l'avantage de faire (re)parler du changement climatique et de mettre l'avenir de l'humanité en évidence. On sait déjà qu'il ne faut pas s'attendre à des miracles en termes d'engagements, mais à lui seul ce piètre constat a déjà de quoi secouer les consciences : nous ne serions pas capables de nous entendre pour préserver l'unique lieu où nous pouvons vivre !

Ainsi, chacun préfèrerait protéger ses intérêts plutôt que de penser à l'intérêt commun ? Ce pourrait être affligeant si, par contraste, cela ne mettait en évidence les voix discordantes qui en appellent à la solidarité, à l'amour, à la sobriété, à l'intelligence humaine et autres fariboles humanistes. Leur rumeur, encore peu audible, pourrait bien enfler. Un peu partout dans le monde divers mouvements, pas nécessairement orientés vers l'urgence climatique, mobilisent des énergies. Leurs espérances se rassemblent autour d'une idée commune : aller vers un monde plus juste. « Les luttes climatiques et les luttes sociales, le mouvement antiaustérité ou celui des droits des réfugiés, ne sont pas des processus distincts. Tous font le même constat de l'échec d'un système qui repose sur une croissance illimitée, et concentre le pouvoir dans les mains de moins de un pour cent de la population ». Voilà ce qu'en dit Naomi Klein dans un entretien accordé à Télerama, qui le résume par cette phrase : « Nous n'avons pas besoin d'un miracle énergétique, nous avons besoin de démocratie ».

De tels propos me stimulent ! Ils me redonnent foi en notre capacité commune à nous prendre en main. Si seulement nous parvenions à être suffisamment nombreux...


J'ai plusieurs fois cité le mouvement Colibris, qui encourage chacun à "faire sa part". Dans l'article cité il est question d'un manifeste intitulé "Un grand bon vers l'avant". Il m'a semblé plus percutant, plus volontaire, plus ambitieux. Il annonce : « Les petits pas ne peuvent plus nous mener là où nous devons aller. Nous devons bondir vers l’avant ». Concernant les canadiens il pourrait être transposé partout.

« Nous pourrions vivre dans un pays entièrement alimenté par des énergies réellement renouvelables et justes, traversé de réseaux de transport public accessible, où les emplois et autres possibilités qu’offre une telle transition sont aussi conçus pour éliminer systématiquement les inégalités raciales et entre les genres. Prendre soin de la planète et les uns des autres pourrait créer de nouveaux secteurs économiques très dynamiques. Beaucoup plus de personnes auraient accès à des emplois mieux payés et travailleraient moins longtemps, ce qui nous laisserait amplement le temps de profiter de la présence de nos proches et de nous épanouir dans nos communautés.

Nous savons que le temps presse pour effectuer cette grande transition. Les climatologues nous ont annoncé que les actions décisives pour éviter un réchauffement catastrophique de la planète doivent être menées au cours de cette décennie-ci. Ce qui veut dire que les petits pas ne peuvent plus nous mener là où nous devons aller.

Alors nous devons bondir vers l'avant. » [extrait de The Leap Manifesto]

Ce manifeste, à la date à laquelle je rédige ce billet, à été signé par 31.252 personnes. C'est bien ! Cela représente... 0,1% de la population canadienne. Wow, il reste du monde à convaincre...



Arrière toute !


Face à ça, en France, pour les élections régionales qui auront lieu demain, les sondages nous préviennent que nous nous apprêtons à voter massivement pour un parti politique qui met la peur de l'autre au centre de ses préoccupations. Un parti qui, insidieusement, revendique un repli en fermant ses frontières, en revenant à nos vieilles valeurs et traditions, un parti qui regarde en arrière et veut garder ses acquis sans partage. Ces idées sont à l'exact opposé des mouvements qui, un peu partout sur la planète, s'ouvrent vers un avenir qu'ils désirent plus solidaire, plus inventif, plus respectueux des identités et de l'universalité.


C'est pas gagné !



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