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Le temps de l'insouciance

Est-il pertinent de faire part de mon inquiétude quant à notre avenir commun ? Je suppose que pour une part des lecteurs mes propos leur passent au dessus de la tête : cela n'entre clairement pas dans leurs préoccupations. Pour une autre part, déjà informée, cela n'apporte probablement rien et ne suscite donc pas de commentaire particulier. Enfin, pour une dernière fraction, cela ne fait qu'ajouter du pessimisme à leur propre inquiétude. Et ça c'est pas bon...


Dès lors, qu'elle est l'utilité d'en parler ? Ne vaudrait-il pas mieux changer de sujet ? Quitte à afficher une insouciance forcée...

Je vois au moins deux aspects utiles dans mes prises de position :

  1. contribuer à la prise de conscience individuelle et globale que notre monde semble bien aller au devant de graves difficultés, et que nous devrions agir collectivement, sans délai, pour tenter d'en réduire l'impact. Le minimum que je puisse faire est donc... d'en parler !

  2. exorciser mes propres craintes, en verbalisant ce qui nuit à la paix intérieure à laquelle j'aspire. Car je sens bien qu'en ce moment mes pensées, focalisées, relativisent l'importance de tout le reste. D'où ma difficulté à parler d'autre chose...

Pour le premier point je ne fais qu'ajouter ma goutte d'eau aux mouvements de fond qui, un peu partout sur la planète, se dessinent et s'agglomèrent. Non seulement contre notre modèle de développement expansionniste, intenable à long terme, mais aussi pour changer nos systèmes démocratiques, confisqués, détournés, manipulés à leur profit par l'alliance des puissants sans scrupules et des politiques qui les servent. Que quelques uns s'enrichissent au delà de l'imaginable alors que tant d'autres sont dans la misère, ce n'est déjà pas tenable sur le plan de l'équité et de la justice. Mais que les premiers, bâtissant leurs empires sur le mythe d'une croissance infinie et misant sur la consommation illimitée comme valeur suprême, servent de modèle aux seconds, c'est tout simplement suicidaire. Il est heureux que des citoyens réagissent avant que tout devienne hors de contrôle. Il ne reste qu'à espérer que le grondement continue à prendre de l'ampleur, avant qu'il ne soit trop tard.


Pour le second point j'ai l'impression qu'afficher le constat, lucide à mes yeux, de l'impasse dans laquelle nous persistons à nous enfoncer, m'aide à accepter la réalité des inéluctables renoncements à venir. En nommant les sources de mes craintes, je leur donne une réalité plus tangible. En quelque sorte cela me conduit à effectuer un travail de pré-deuil. Je me prépare à une très probable dégradation de notre qualité de vie [quoique...] dans un système qui se préoccupe insuffisamment des dégâts qu'il engendre. Sans parler d'une certaine idée de l'humanité, qui pourrait être fort malmenée. Je m'attends à ce que la rupture advienne dans un délai bien plus court que je ne l'imaginais au début [le "quand ?" restant la seule incertitude]. Longtemps j'ai gardé en moi ces craintes sourdes, me demandant si j'étais le seul, dans mon entourage, à redouter ainsi la dureté des temps à venir. Dramatisais-je l'avenir ? Aujourd'hui, force est de constater que, bien qu'encore minoritaires, nous sommes de plus en plus nombreux à avoir bien présentes à l'esprit ces préoccupations quant à notre devenir commun. Elles s'expriment de différentes façons, avec plus ou moins d'optimisme, d'illusions, de naïveté ou de lucidité, mais elles se rejoignent sur un point : le modèle de croissance actuel n'est pas viable à long terme. Ce ne serait pas forcément grave si cela ne concernait que l'humain en tant qu'espèce, dans une sorte d'auto-régulation "naturelle"[sauf pour ceux qui en seraient victimes, évidemment...], mais il entraine avec lui le sort d'autres espèces et écosystèmes. Et ça c'est beaucoup plus grave, à mes yeux. Trop grave pour que mes pensées en fassent abstraction.


Voilà pourquoi j'en parle encore. Mais je suppose que la période d'inquiétude ne s'éternisera pas. Lorsque le processus d'acceptation de la précarité de notre mode de vie aura fait son oeuvre, alors reviendra le temps de l'insouciance. J'oublierai... jusqu'à la prochaine prise de conscience.

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